Décliner dans l’Hexagone le programme néerlandais « EnergieSprong », littéralement le « saut énergétique », ne se fera pas sans peine, et devrait s’accompagner tout autant d’un saut administratif, financier et technique.

Venu des Pays-Bas, EnergieSprong arrive en France précédé d’une réputation d’efficacité redoutable. Initié en 2012 au royaume des tulipes, ce programme de rénovation du parc social a d’ores et déjà permis de conduire 1000 rénovations à niveau zéro énergie « 800 logements individuels et 200 logements en petits collectifs, dont certains comptaient jusqu’à 30 logements », précise Sébastien Delpont, directeur de Greenflex, le cabinet qui coordonne le projet dans l’Hexagone. Et le plus important reste à venir puisque 10 000 autres rénovations ont été « contractualisées », et 100 000 sont « en cours de négociation ».

Des chiffres conséquents certes, mais qui pourraient paraître finalement peu éloignés des performances du programme de lutte contre la précarité énergétique « Habiter Mieux » (70 000 logements en 2016, 100 000 attendus pour 2017) ou de certains bailleurs sociaux (105 000 logements sociaux ont été rénovés en 2014). « Il ne faut pas oublier que les Pays-Bas comptent quatre fois moins d’habitants, et que les rénovations sont trois fois plus performantes qu’en France. EnergieSprong est donc révélateur d’une dynamique beaucoup plus intense qu’en France », rappelle le coordinateur.

Cinq groupes de travail

« Ce qui est véritablement innovant dans ce programme, reprend-il, c’est que cette action de massification de la rénovation fixe un objectif « zéro énergie » après travaux, mais également, à terme, un objectif de zéro euro de dépense publique ». Un atout majeur dans le contexte actuel de tour de vis budgétaire. Les Néerlandais sont parvenus à diminuer graduellement la prise en charge par les finances publiques des coûts de rénovation. Ainsi, si au lancement du programme en 2011, les bailleurs sociaux devaient débourser 145 000 euros en moyenne par logement pour une rénovation intégrale, le coût a été divisé par deux et atteint aujourd’hui 70 000 euros seulement.

Les professionnels ont trouvé le « point de bascule » – au-delà duquel plus un seul euro d’argent public n’est engagé – autour du 1000ème logement rénové. « Les bailleurs sociaux ont divisé leur parc en fonction de spécifications techniques communes, ce qui a permis d’offrir une récurrence intéressante aux industriels engagés dans la démarche. Ils ont donc pu développer des solutions qualitatives préindustrialisées à grande échelle, et donc réduire les coûts », détaille Sébastien Delpont.

En parallèle, les acteurs du parc social ont réclamé aux pouvoirs publics « un assouplissement de certains mécanismes afin d’amortir les travaux réalisés grâce aux économies d’énergies futures, dégagées sur une période de trente ans », poursuit l’expert. « Nous souhaiterions faire évoluer la réglementation, afin que les maîtres d’ouvrage engagés dans la démarche puissent construire un modèle économique viable », expliquait au printemps dernier à neext.fr Eric Danesse, directeur technique et innovation du bailleur social Vilogia, engagé dans la démarche. « Les bailleurs sociaux néerlandais ont par exemple obtenu de pouvoir « récupérer » la différence de charges avant et après travaux afin de financer ces derniers ». Le niveau zéro énergie ne serait-il donc pas si complexe à atteindre ? Et si cher à financer ? « À condition de travailler en amont afin de lever un certain nombre de verrous », reprend le directeur de Greenflex qui va justement chapeauter l’ensemble du processus.

Pour dénouer l’ensemble des problématiques spécifiques au contexte français, cinq groupes de travail ont été mis en place ces derniers mois. Ouverts à toutes les bonnes volontés, ils réunissent actuellement l’ensemble des partenaires du programme (CSTB, USH, Pôle Fibres Energivie) au côté d’une dizaine d’entreprises et bailleurs sociaux. « Le groupe « modèle économique » réfléchit aux conditions d’équilibre optimales des opérations de rénovation pour les bailleurs sociaux, en fonction de leur type de patrimoine, de leurs financements habituels (fonds propres, emprunts…) et en tenant compte des différentes étapes de la vie d’un bâtiment, en cas de vente notamment », détaille le responsable de Greenflex.

Un deuxième groupe est chargé d’identifier les solutions techniques existantes, ainsi que des acteurs capables de proposer des innovations répondant aux objectifs du programme. « EnergieSprong repose sur la numérisation des logements existants et l’industrialisation des solutions de rénovation : on sait d’ores et déjà que l’on va s’appuyer sur des solutions pré-usinées, seul moyen de respecter les délais impartis puisque le but est de rénover en quelques jours, en site occupé, sans oublier la cuisine et la salle de bain qui sont également refaites entièrement », rappelle Sébastien Delpont.

Les questions contractuelles seront également au cœur des discussions. « Très concrètement, ce groupe nourrira la réflexion sur les procédures de passation de marché », poursuit  le consultant de Greenflex. Un autre groupe se penchera sur l’accompagnement des habitants « avant, pendant et après les travaux » tandis qu’un dernier a débuté des travaux autour des « conditions de performance énergétique », et plus précisément du niveau qui sera exigé après rénovation. Si les travaux de ces différents groupes devraient durer au moins trois ans, les premières expérimentations  sont attendues dès le second semestre 2017 sur un échantillon de logements appartenant aux bailleurs sociaux partenaires, dans les régions Hauts-de-France et Bretagne ou Pays-de-la-Loire.

Garantie des consommations

Pierre angulaire de la réussite du programme : la garantie de performance réelle après travaux. C’est sur cette dernière que s’appuieront les économies d’énergies dégagées, et donc les gains financiers permettant d’amortir les coûts des travaux. Le CSTB déploiera, dans le cadre de l’expérimentation française, deux méthodes de vérification des performances après travaux développées par ses services : Isabele (In-Situ Assessment of the Building EnveLope pErformance) et Repere (pour « Retour d’Expérience sur la Performance Effective de Rénovations Energétiques »).

La première permet de « prendre une photographie de la performance intrinsèque du bâtiment après travaux, avant qu’il ne soit occupé, explique Stéphanie Derouineau, chef de projet garantie de performance énergétique au CSTB. Très concrètement, elle revient à mesurer le niveau d’isolation globale du bâtiment. On chauffe donc son volume intérieur avec des convecteurs afin d’observer comment il réagit dans un contexte déterminé (température intérieure/extérieure) ». Si « le protocole et la mise en œuvre pratique doivent encore être affinés », une première version de la méthode devrait être présentée au printemps 2017. À terme, un kit d’instrumentation dédié permettra d’appliquer la méthode de manière simple et robuste sur le terrain à l’instar de la mesure de la perméabilité à l’air de l’enveloppe.

Complémentaire d’Isabele, la méthode « Repere » est, elle, mise en œuvre durant la phase d’exploitation du bâtiment », rappelle la chef de projet. « Elle inclut la mesure et l’enregistrement d’un ensemble de données avant et après travaux, données qui sont ensuite analysées via un algorithme. Celui-ci permet de qualifier le gain de consommations énergétiques indépendamment des conditions climatiques, et des usages des occupants ». Elle est actuellement déployée à titre expérimental sur un programme de rénovation de 1600 logements pour Habitat Toulouse ainsi que 1000 logements pour 3F.