L’Éducation nationale a annoncé en juillet la nomination de Sidi Soilmi, ancien directeur du patrimoine et de la maintenance au conseil régional d’Île-de-France, à la tête de la « cellule du bâti scolaire ». Une action attendue par le collectif Urgence amiante écoles. Cyril Verlingue, son président, évoque les actions de l’association qui, petit à petit, ont mené à un début de prise de conscience.

Le ministère de l’Éducation nationale a nommé cet été Sidi Soilmi pour la mise en place de la « cellule du bâti scolaire ». Comment avez-vous accueilli cette décision ?

« C’est quelque chose que nous attendions. Nous pensons que le Ministère se repose trop souvent sur les collectivités territoriales, argument qui a longtemps dissimulé une méconnaissance des enjeux. Nous espérons que cela change avec cette cellule sur le bâti scolaire, mais nous ne voulons plus être renvoyés vers la responsabilité des Régions, des Départements ou des mairies.

Vous êtes professeur au lycée Brassens de Villeneuve- le-Roi (94) et avez été vous-même confronté à l’amiante…

Effectivement, en 2017, des morceaux de flocage sont tombés. Nous avons eu des soupçons alors que le DTA datant de 2015 ne mentionnait pas la présence d’amiante, et la Région a finalement demandé à ce que des analyses soient réalisées. La présence était avérée. Les flocages amiantés avaient été recouverts de flocages non amiantés, d’où l’erreur. La Région a alors fait évacuer les ordinateurs, mais pas le personnel et les élèves. Nous avons donc fait valoir notre droit de retrait. Nous étions 70.

En réalité, dans l’établissement, trois tonnes de flocages amiantés ont été quantifiées. L’histoire ne s’est donc pas arrêtée là…

À la rentrée 2018, un incendie s’est déclaré, suivi d’une inondation. Deux salles ont été fortement dégradées, les plafonds sont tombés. Nous avons donc réitéré notre droit de retrait. Avant d’être évacués dans des préfabriqués, nous avons pris contact avec des journalistes, Libération a fait sa Une sur notre histoire. Nous nous sommes alors rendu compte que ce problème était similaire dans d’autres établissements scolaires. Une question s’est alors posée : devons-nous continuer à exposer une telle problématique dans l’espace public ou arrêter d’en parler car notre situation de travail s’est améliorée ? Nous avons opté pour la première solution.

Les actions du collectif Urgence amiante écoles ont alors été relayées, voire médiatisées à plus grande ampleur, une situation qui n’a pas dû plaire à tous ?

On nous a dit plusieurs fois que nous n’étions pas des spécialistes et que nous allions créer de la panique pour rien. C’est toujours le même discours alors que nous voulons juste avoir des informations fiables, montrer qu’il existe un problème général. Les statistiques sont inquiétantes et c’est un euphémisme. Un tiers des écoles primaires et maternelles ne disposent pas de DTA. 85% des établissements scolaires ont été construits avant 1997 et 70% d’entre eux montrent une présence d’amiante dans leur DTA. Nous avons également reçu le rapport de Santé publique France en juin et à partir de ce moment, on a arrêté de nous dire qu’il n’y avait pas de victimes dans l’Éducation nationale ! Entre 20 et 60 personnes par an meurent du mésothéliome. Après les métiers directement confrontés à l’amiante, arrivent les professeurs. C’est frappant ! L’amiante n’est pas assez pris en compte par l’Éducation nationale. Alors, nous allons le faire à sa place.

Concrètement, comment agissez-vous ?

Nous avons lancé un recensement citoyen sur le site du collectif pour récupérer les DTA des établissements scolaires français. Nous demandons à avoir accès à ces données, mises en ligne de manière publique. Nous voulons la transparence des données, l’élaboration d’un plan de prévention auprès du personnel et le désamiantage des établissements les plus dangereux.

Quels moyens utilisez-vous pour vous faire entendre ?

Nous relayons beaucoup les actions de nos collègues, ail- leurs en France. Les mobilisations à Jussieu en 1976-1977 et 1994 ont donné lieu à des évolutions réglementaires et ont contribué à l’interdiction de l’amiante. À chaque fois, on a l’impression que le problème est réglé sauf que, volontairement ou non, on oublie qu’il reste des milliers de tonnes d’amiante. Nous travaillons également beaucoup sur la technique. Je ne me considère pas comme un spécialiste de l’amiante, mais à force de rejeter notre argumentaire avec ce motif, il a fallu s’y mettre pour comprendre.

Cela fait bientôt un an que le collectif est né, évoluant même en association. Avez-vous remarqué des changements ?

Les choses bougent tout doucement. J’ai l’exemple de deux établissements qui, cet été, ont débuté des travaux de rénovation avant de se rendre compte qu’il y avait de l’amiante. Le désamiantage est donc prévu à la rentrée et les classes seront transférées ailleurs.

On entend beaucoup parler de l’incendie de Notre-Dame à Paris et de l’exposition au plomb des enfants. Des écoles et des centres de loisirs ont été fermés. À travers votre expérience, qu’en pensez-vous ?

C’est une bonne chose, qui a cependant mis trop de temps à être prise en compte. Beaucoup d’alertes ont été émises rapidement après l’incendie, mais il y a eu un temps de latence. Les autorités n’ont pas agi de suite. Je pense que c’est la dimension symbolique de Notre-Dame, exposée aux yeux du monde, qui a contribué à accélérer les choses ces dernières semaines. »

Zoom: Qui est Urgence amiante écoles ?

D’abord collectif avant d’être une association, Urgence amiante écoles s’est constitué en 2017. Pour pouvoir être entendu auprès des pouvoirs publics et jouer un rôle comme les associations de victimes de l’amiante par exemple, Urgence amiante écoles a modifié ses statuts en juin dernier. L’association est ouverte à tous les professeurs, parents d’élèves en France et se revendique indépendante et « ouverte à l’expérience de tous » selon son président Cyril Verlingue.