Méthanisation, biomasse collective, industrielle et tertiaire… Quels gisements, leviers et perspectives de croissance peuvent envisager les marchés de la biomasse – hors bois domestique – à l’horizon 2023 ? Éléments de réponse avec Olivier Lemesle, directeur d’études chez Xerfi, et auteur de l’étude « Les marchés de la biomasse à l’horizon 2023 – Quels gisements, leviers et perspectives de croissance ? ».

Quels sont vos scénarios pour la production d’énergie issue de la biomasse en France ?

Nous nous sommes concentrés sur les marchés biomasse hors bois domestique et les perspectives de croissance s’annoncent globalement très favorables. Nous anticipons en effet que la production d’énergie à partir de biomasse hors bois de chauffage pour particuliers s’établira à 9TWh à l’horizon 2023 (contre 7 TWh en 2018) dans l’électricité et à 3,7 ktep (contre 2,6 ktep en 2018) dans le chauffage.

Cette croissance sera surtout tirée par les unités de méthanisation et de biomasse collective, industrielle et tertiaire. La production d’énergie à partir de biogaz va ainsi augmenter de plus de 50% sur la période en raison, notamment, de l’accélération du nombre de méthaniseurs mis en service. Le secteur pourra également s’appuyer sur de solides fondamentaux : aides financières pour les porteurs de projets, tarif d’achat garanti pour les petits méthaniseurs, etc.

La dynamique autour de la valorisation agronomique (compost) va également s’accélérer. En plus des 700 plateformes de compostage de déchets ménagers recensées (soit un doublement en 15 ans), de plus en plus d’unités de biogaz vendront leur digestat aux agriculteurs pour fertiliser les sols. Mais si des doutes persistent autour des nuisances des sites, des verrous réglementaires viennent d’être levés.

La stratégie des pouvoirs publics s’oriente notamment vers un développement des procédés de méthanisation à la ferme et des plateformes de compostage. Ce déploiement accéléré pose toutefois la question de l’approvisionnement. La production de déchets ménagers et industriels tend en effet à diminuer tandis que la mobilisation des ressources forestières est sous-optimale.

Dans ce contexte, comment sécuriser les approvisionnements ?

Des volumes restent à exploiter dans les effluents d’élevage et les résidus de culture. Mais affectés parfois par des problèmes de pénuries ou de saisonnalité de certaines matières premières, les sites cherchent à sécuriser leurs approvisionnements, entre autres en valorisant de nouveaux types de biomasse (plantes invasives, micro-algues, sous-produits de la vigne…).

La mobilisation des biodéchets ménagers pour le compostage devrait également logiquement s’améliorer. Cette nouvelle génération d’intrants restera cependant marginale à court terme et d’autres intrants complémentaires seront plus rapidement mobilisés tels que les sous-produits du bois et les boues. Les tensions autour du bois devraient d’ailleurs rester vives.

Tout dépendra de la capacité de la filière à mieux exploiter les ressources sylvicoles pourtant abondantes en France mais aussi d’une éventuelle décision de reconvertir en méga chaufferies biomasse les quatre centrales à charbon de l’Hexagone, qui doivent fermer en 2022. Sur ce point, rien n’est moins sûr à en juger par les déboires rencontrés par l’énergéticien allemand Uniper à Gardanne (Bouches-du-Rhône).

La biomasse est-elle susceptible de percer dans le mix énergétique ?

Hors chaleur, les filières biomasse doivent encore améliorer leur compétitivité face aux autres énergies. Les prix de production sont en effet bien supérieurs à ceux d’autres EnR tels que l’éolien et le solaire-photovoltaïque, qui ont industrialisé leurs procédés, et à ceux des énergies traditionnelles comme le gaz naturel et le nucléaire. Le passage à l’ère industrielle n’est pas achevé dans la biomasse et les acteurs manquent encore de maturité technologique.

Dans ces conditions, si la biomasse s’impose comme la première EnR dans les réseaux de chaleur, sa capacité à percer véritablement dans le mix énergétique (surtout électrique) reste encore incertaine. Toutefois, les progrès technologiques devraient permettre dans les 5 ans à venir de réduire les coûts de revient et, tandis que la concurrence monte d’un cran, le prix moyen du MWh va baisser.

En réalité, les acteurs n’ont pas d’autre alternative que celle d’investir dans leurs capacités de production pour que leurs activités biomasse gagnent en compétitivité et en productivité. C’est valable aussi bien pour les opérateurs issus de l’environnement (Suez, Veolia) que pour ceux des déchets (Urbasé, Séché Environnement) ou encore de l’énergie (Dalkia, Engie, Total). Bref, les grandes manœuvres ne font que commencer dans la filière biomasse.