Lancé en 2017, le programme régional A2E pour « Alpes efficacité énergétique » cherche à comprendre les « ratés » de la construction performante en France. Et les raisons ne sont pas seulement techniques. Explications d’Arnaud Dutheil, directeur du CAUE de Haute-Savoie et pilote du programme.

Après avoir analysé avec l’AQC une cinquantaine de bâtiments RT 2012, comment expliquez-vous leurs contre-performances ?

Il y a évidemment des soucis « basiques » de mise en oeuvre des matériaux et équipements lors du chantier : isolation partielle, perméabilité à l’air négligée, mauvais réglages des équipements… Mais nous avons également constaté de lourdes erreurs comme des installations énergétiques montées à l’envers ou même pas connectées !

Cependant, les erreurs peuvent également avoir été commises en amont, lors de la conception. On se retrouve alors avec des équipements surdimensionnés, ou relativement complexes, qui sont au final sous-employés (ventilation double flux, puits canadien…) ou mal entretenus. Une autre explication réside dans le fait que les performances des équipements annoncées sont en fait des données théoriques, calculées en laboratoire.

Enfin, il faut également évoquer la responsabilité des maîtres d’ouvrage. Certains n’hésitent pas à accepter, en cours de chantier, un changement dans l’équipement, le plus souvent par souci d’économie. Et on se retrouve avec le cas de ce bâtiment dans lequel les brise-soleil recommandés par le BE ont finalement été remplacés par des rideaux…

Pour se donner toutes les chances de réceptionner un bâtiment aux performances les plus proches de celles annoncées lors de la conception, il faut que l’ensemble des membres de la chaîne fassent preuve de solidarité. Or, actuellement, lorsqu’il y a contre-performance (surchauffe, équipements défaillants…), les parties se renvoient la balle : on accuse les occupants/usagers, qui s’attendent à ce que le bâtiment s’adapte à leurs besoins, le bureau d’études, qui a surestimé les performances théoriques des solutions mises en oeuvre, le gestionnaire, qui ne répond pas assez vite aux signalements…

Malheureusement, face à ce type de situation de crise, les parties ont tendance à agir dans l’urgence, ce qui aggrave encore la situation. Dans l’étude, nous rapportons le cas d’une école maternelle dans laquelle a été installée, pour lutter contre la surchauffe estivale, un plancher rafraîchissant, absolument pas adapté dans des locaux accueillant de jeunes enfants !

Comment sortir de ce « cercle vicieux » ?

Il faut casser cette logique actuelle qui implique que maîtrise d’ouvrage, gestionnaires et occupants du bâtiment soient encore trop souvent éloignés les uns des autres. Comment ? Nous avons identifié plusieurs pistes. D’abord, le maître d’ouvrage doit reprendre la main et s’engager directement sur ses projets. Il peut le faire en capitalisant en interne ses retours d’expériences, en favorisant le dialogue compétitif, y compris si cela prend un peu plus de temps qu’une autre approche, ou en organisant directement les échanges entre l’équipe de conception et les futurs gestionnaires et occupants par exemple.

En amont, il serait également pertinent de réfléchir à un outil d’accompagnement à la décision technique, hors AMO classique. Sur ce point, le BIM manager pourrait constituer un atout, dans la continuité de la gestion des données exploitation, à condition toutefois de ne pas en faire une « solution miracle », qui reviendrait à déresponsabiliser le maître d’ouvrage.

On s’intéresse également à l’étape de réception du bâtiment – comment mesurer la performance réelle une fois celui-ci occupé – et au commissionnement, qui permet de suivre les performances du bâtiment deux à cinq ans après sa livraison. Malheureusement, les collectivités publiques ne peuvent y recourir dans le cadre règlementaire actuel des marchés publics. Et le coût de la prestation paraît encore trop élevé pour nombre de maîtres d’ouvrage.

Cette approche atypique que vous venez de décrire fait désormais l’objet d’une formation…

Nous sommes en effet en train d’élaborer une formation spécifique sur le sujet, en privilégiant une pédagogie participative. L’objectif est de réunir une quinzaine de stagiaires d’horizons différents (maîtres d’oeuvre, bureaux d’études, ingénieurs, gestionnaires, élus…) afin de les faire réfléchir au processus de fabrication du bâtiment tout en les amenant à comprendre les positions des autres… Nous avons également conçu une formation à destination des apprentis. L’idée est de faire émerger une approche « coût global », indispensable alors qu’il est nécessaire d’optimiser l’investissement financier. Et cette tendance va s’accentuer avec la future réglementation environnementale et la quantification du carbone.

Une première session a eu lieu, et d’autres devraient suivre dans les prochains mois. La formation sera ensuite dispensée par l’École Nationale des Travaux Publics de l’Etat (ENTPE – Lyon) dans le cadre de sa formation continue à la rentrée 2020.

Zoom : Aux origines du programme A2E

Conduit dans le cadre du programme de coopération européenne Interreg France-Italie, le programme A2E a débuté en 2017 autour de neuf partenaires français et italiens. Il vise, d’ici 2020, à mesurer l’efficacité énergétique réelle des bâtiments basse consommation, neufs ou rénovés, en cours d’exploitation. Au côté du CAUE de Haute-Savoie, on retrouve l’AQC, le cabinet d’ingénierie Manaslu Ing et l’École Nationale des Travaux Publics de l’Etat (ENTPE – Lyon).
« Nous nous sommes mobilisés sur cette thématique après un voyage d’étude dans le Vorarlberg, une région autrichienne pionnière dans le domaine, et qui obtient de très bons résultats grâce à la mobilisation de l’ensemble de la société », rappelle Arnaud Dutheil.