Rénovation du parc tertiaire, colonnes montantes, accessibilité des logements mais aussi comptage de chaleur et de froid, carnet numérique et habitat inclusif… La loi Elan est un texte dense, qui fourmille de mesures nouvelles. Revue de détails. 

Une loi qui « libère » la construction ou qui la « libéralise tous azimuts », avec tous les risques économiques, environnementaux et sociaux que cela peut comporter ? Une loi qui « restructure » le secteur du logement social ou qui porte un coup fatal à ses fondations ? Entre le texte présenté en avril dernier, celui adopté par les députés en juin, et le projet de loi – issu des travaux de la commission paritaire –  finalement voté à la majorité des sénateurs ce 16 octobre, difficile aujourd’hui d’imaginer toutes les implications qu’aura la loi Elan. D’autant qu’il reste encore quelques jours pour déposer un recours devant le Conseil constitutionnel. 

En attendant sa promulgation au JO, puis la publication des très nombreux décrets d’application attendus, on s’est plongé dans ce texte – passé d’une soixantaine d’articles à 234 durant le processus législatif – afin d’en extraire les principales dispositions qui vont intéresser les spécialistes des secteurs « bâtiment-énergie » . 

  • Transformation des bureaux en logement, immeuble de moyenne hauteur…

C’était une volonté affichée du gouvernement dès la présentation du projet de loi : faciliter la transformation de bureaux en habitation afin de parvenir à faire changer de destination près de 500 000 m2 de bureaux d’ici 2021. C’est chose faite avec l’article 28, qui modifie l’article L. 145-4 du Code de commerce allant dans ce sens. 

Confirmée également, la possibilité « sur l’ensemble du territoire et à titre expérimental » d’instaurer un dispositif « visant à assurer la protection et la préservation de locaux vacants par l’occupation de résidents temporaires, notamment à des fins de logement, d’hébergement, d’insertion et d’accompagnement social ». Pour le détail, rendez-vous à l’article 29.

Enfin, l’article 30 modifie le Code de l’habitation en matière d’immeuble de grande hauteur, et créé une catégorie d’ « immeubles de moyenne et de grande hauteur » (entre 28 et 50 mètres), laissant le terme d’IGH au seuls immeubles de plus de 50 mètres de haut, tout usage confondu. Cette disposition doit « faciliter la mutation de bureaux en logements », précisait le législateur dans l’exposé des motifs de la loi.

La surélévation d’immeubles pourrait également être rendue plus simple. Dans tous les cas, pour en savoir plus sur les dispositions de sécurité applicables dans cette nouvelle catégorie d’immeuble, il faudra attendre un décret en Conseil d’Etat. Pour patienter, on peut (re)lire sur le-Flux.fr le « Cas pratique. Un immeuble de bureaux transformé en 31 logements » 

  • Accessibilité et logements évolutifs : c’est fait

C’est probablement l’une des dispositions de la loi la plus critiquée : la volonté affichée de revenir sur le seuil de 100% de logements accessibles, instauré par la loi « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » de 2005.

L’article 64 du projet voté par les parlementaires vise désormais les 20% de logements adaptés (et « au moins un logement ») par bâtiment collectif, le reste des logements devant être « évolutifs », soit « permettre la redistribution des volumes pour garantir l’accessibilité ultérieure de l’unité de vie, à l’issue de travaux simples ». Des décrets en Conseil d’État viendront préciser les modalités et les conditions d’application de ce nouveau seuil selon les types de logements (logements sociaux, maison individuelle…). 

  • Préfabrication, études géotechniques… 

Les articles 65 à 67 visent à encadrer divers aspects de la construction préfabriquée (définition, assurance…) et prévoit que les mesures « visant à adapter le régime applicable au contrat de construction d’une maison individuelle avec fourniture de plan lorsque le constructeur assure la fabrication, la pose et l’assemblage sur le chantier d’éléments préfabriqués pour réaliser l’ouvrage » seront prises par ordonnance.

Suite à l’intervention des sénateurs, le nouvel article 68 rend l’étude géotechnique obligatoire « dans les zones exposées au phénomène de mouvement de terrain différentiel consécutif à la sécheresse et à la réhydratation des sols » dont la liste est fixée par arrêté. Il s’agissait d’une revendication de longue date de la Capeb. Le contenu et la durée de validité des études seront fixés par décret en Conseil d’État.  

  • Système de comptage de chaleur… et de froid : les équipements autorisés encadrés

L’article 71 introduit une obligation d’individualiser la quantité de froid consommée dans les immeubles collectifs d’habitation ou mixte pourvus d’une installation centrale de froid « quand la technique le permet ». 

Ce même article vient clore le débat sur les équipements de comptage de chaleur à mettre en oeuvre dans les immeubles équipés d’une installation de chauffage collective. Outre les « appareils de mesure des consommations de chauffage »  – reconnus via le décret 2016 découlant de la loi de transition énergétique – Elan vient ajouter officiellement la possibilité de déterminer la quantité de chaleur via des « répartiteurs des frais de chauffage individuels » et même par « d’autres méthodes rentables  permettant de déterminer la quantité de chaleur fournie à chaque local occupé à titre privatif ». Là encore cependant, il faudra attendre un décret en Conseil d’État pour en savoir plus sur « le cadre de mise en place de ces méthodes ». 

  • Rénovation du parc tertiaire : nouveau décret attendu

Très attendu, suite à l’annulation d’un premier décret par le Conseil d’État l’été dernier, l’article 175 d’Elan précise les objectifs de réduction des consommations d’énergie à atteindre dans les bâtiments tertiaires à compter de 2030 (et non plus 2020 comme les précédents textes). Des objectifs inchangés, soit « au moins 40 % en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050, par rapport à 2010 », avec la possibilité ouverte d’atteindre « un niveau de consommation d’énergie finale fixé en valeur absolue, en fonction de la consommation énergétique des bâtiments nouveaux de leur catégorie », précise le texte.

Comme dans la précédente loi, les objectifs pourront être modulés en fonction de « contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales », d’un éventuel changement d’activité ou en raison « de coûts manifestement disproportionnés des actions par rapport aux avantages attendus ».

Propriétaires et preneurs (locataires) décideront des actions « qui relèvent de leurs responsabilités respectives en raison des dispositions contractuelles régissant leurs relations ». Ils pourront définir ensemble des actions les actions destinées à respecter cette obligation et mettre en œuvre les moyens correspondants.

Il faudra en revanche attendre la publication d’un décret en Conseil d’État pour que ces nouvelles dispositions soient appliquées. Il précisera notamment les bâtiments tertiaires concernés, les niveaux de consommation attendus, les conditions de modulation ou encore « les modalités de mise en place d’une plateforme informatique permettant de recueillir et de mettre à disposition des personnes soumises à l’obligation (…) les données de consommation ».

  • La propriété des colonnes montantes enfin précisée

L’article 176 devrait également mettre fin à un « flou juridique » de taille. Il vient en effet graver dans le marbre de la loi le statut des colonnes montantes, ces installations électriques situées entre voirie et logement. Ainsi, les colonnes montantes mises en service avant la publication d’Elan ou après sont propriétés du réseau public d’électricité, « sauf opposition des copropriétés », relève le Médiateur de l’Énergie dans son communiqué.

Conséquence : c’est désormais Enedis « qui aura la charge des travaux d’entretien », reprend l’autorité publique indépendante qui estime à 300 000 le nombre de colonnes montantes qui devraient être mises aux normes.

  • Réglementation environnementale

Plusieurs articles d’Elan confirment la prise en compte croissante de la performance environnementale dans le bâtiment. C’est notamment le cas de l’article 178, qui prévoit la publication d’un décret en Conseil d’État qui définira « les modalités de calcul et de formalisation des informations nécessaires » à la prise en compte de la performance environnementale des produits de construction et équipements.

La commande publique devra également intégrer « les exigences de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et de stockage du carbone et veille au recours à des matériaux issus des ressources renouvelables. » (article 180).

Enfin, et c’est probablement la disposition de la loi la plus forte dans le domaine : l’article 181 vient confirmer l’arrivée prochaine de la dimension carbone pour les constructions nouvelles « à partir de 2020, en fonction des différentes catégories de bâtiments ».

  • Carnet numérique

Le voici, le revoilà : le carnet numérique, introduit par la loi de transition énergétique, et qui n’est jamais devenu réalité, malgré les nombreuses expérimentations du PTNB,  ou d’autres acteurs. La faute à un décret jamais publié.

Espérons que l’article 182 connaîtra un avenir meilleur. La loi Elan reprend en tout cas le principe même du « carnet numérique d’information, de suivi et d’entretien du logement », à simple « valeur informative ». Il comprendra le dossier de diagnostic technique et, le cas échéant, les documents liés à la copropriété. Si la date d’entrée en vigueur de cette nouvelle obligation pour les logements neufs reste inchangée – au 1er janvier 2025 – l’arrivée du carnet numérique dans les logements existants faisant l’objet d’une mutation interviendra à compter du 1er janvier 2020 (et non plus…  2017 comme le prévoyait la loi de transition énergétique).

Dans tous les cas, un décret en Conseil d’État précisera les modalités d’application du texte.

Zoom : d’autres mesures à suivre

Un observatoire du diagnostic immobilier (article 72) sera instauré à partir du 1er janvier 2020, il centralisera l’ensemble des diagnostics immobiliers, diagnostic de performance énergétique inclus. Ce DPE sera d’ailleurs renforcé à compter du 1er janvier 2021 : seules les recommandations conserveront une valeur informative, ce qui ouvre la voie à une opposabilité du reste du diagnostic (article 179). Ça tombe bien, une réforme est en cours.

En revanche, l’observatoire de la qualité de l’air intérieur « boosté » semble avoir disparu des radars… Tout comme l’expérimentation « point habitat », peut-être un peu redondante avec les plateformes locales de rénovation énergétique et autres espaces info énergie ?

 Le CSTB voit confirmer son rôle d’accompagnateur « de la filière du bâtiment et de la ville pour leurs transitions numérique et environnementale, notamment par le développement, l’exploitation et la mise à disposition d’outils numériques ou de bases de données » (article 73).

Le préfet de département pourra interdire l’utilisation des appareils de chauffage contribuant fortement aux émissions de polluants atmosphériques (article 74), soit les foyers ouverts et anciens foyers fermés.

L’article 129 pose les bases juridiques de l’habitat inclusif, « destiné aux personnes handicapées et aux personnes âgées qui font le choix, à titre de résidence principale, d’un mode d’habitation regroupé, entre elles ou avec d’autres personnes(…) assorti d’un projet de vie sociale et partagée défini par un cahier des charges national, fixé par arrêté des ministres chargés des personnes âgées, des personnes handicapées et du logement ».

> Consulter le texte définitif (document provisoire) du projet de loi de portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique